Edouard Philippe a présidé la Cérémonie de commémoration de l’Armistice du 11 novembre 1918

Mis à jour le 13/11/2017
Le Premier ministre Édouard Philippe a présidé, le 11 novembre, la cérémonie de commémoration de l’Armistice du 11 novembre 1918 à la clairière de Rethondes située sur la commune de Compiègne. Après avoir assisté à l'accueil républicain puis aux honneurs militaires, il a prononcé un discours. Il s'est ensuite rendu dans le musée de l'Armistice où il a signé le livre d'or dans le wagon.

Cette cérémonie s'est déroulée en présence de Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées, et de Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées. De nombreux élus et ambassadeurs étaient également venus honorer la mémoire des nombreuses victimes de la Première Guerre Mondiale.

 

 

 

 Retrouvez le discours du Premier ministre :

« D’abord, de l’horizon déchiré, un liseré de lumière dépassait, puis un feu pâle glissait entre les nuages, coulait comme de l’eau, dans les détours des tranchées. C’était tout. Ça se diluait dans le vaste espace du ciel et de la terre, et ça restait comme ça, couleur de vielle paille grise. C’était le jour ».

Il est évidemment impossible d’imaginer ce qu’ont vécu ces hommes. Dans cette quête du souvenir, forcément un peu vaine, la littérature offre un recours. Elle offre un recours après avoir été une consolation, un refuge, voire une expiation pour une génération. Ces livres, ces pages, ces lettres que vous avez lus chers amis collégiens, me font penser à ces bleuets que nous portons traditionnellement en mémoire de ceux qui sont morts pour la France. Pourquoi des bleuets ? Parce que les bleuets, comme la littérature, en particulier celle des tranchées, repoussaient, malgré tout et je dirais « envers et contre tout », sur la terre éventrée des champs de bataille.

J’ignore si à 5h15, en ce matin du 11 novembre 1918, sur les 500 kilomètres de front, le jour ressemblait à celui que décrit Jean Giono dans Le grand troupeau. Quoi qu’il en soit, dans cette clairière, dans ce wagon réquisitionné auprès de la Compagnie internationale des wagons-lits, le maréchal Foch et les représentants allemands signaient l’armistice. Treize pages, qu’un aide de camp ou un secrétaire a sans doute retranscrites avec soin durant la nuit. Treize pages un peu sèches, sans fioritures, qui dressent la liste bien propre, bien alignée des exigences des Alliés. Je vous invite à consulter ce document auprès du service historique de la Défense : on a du mal à croire que la vie d’autant d’hommes a pu dépendre de ce simple document. Du mal à croire que l’épilogue d’un tel désastre tient en treize pages dactylographiées.

Beaucoup avant moi ont rappelé les raisons qui ont conduit le généralissime à choisir ce lieu : sa solitude, son calme, son silence. Pour respecter l’adversaire vaincu bien sûr. Pour faciliter des négociations qui sans s’annoncer difficiles – après l’abdication de l’empereur Guillaume II, le nouveau gouvernement allemand était pressé d’en finir – n’en étaient pas moins capitales pour l’avenir du monde. Peut-être que le silence de cette clairière était également une manière de répondre au silence qui s’était abattu le soir durant quatre années, sur des millions d’hectares de terres dévastées, des milliers de kilomètres de tranchées, des milliers de villages, dans des millions de foyers. Ils seront 11 000 de plus à tomber ce jour-là, soit plus que le Jour J en 1944.

Peut-être faut-il voir enfin dans ce silence, celui de civilisations hébétées, laissées sans voix, devant l’étendue du massacre. Des civilisations, brillantes, éduquées, lettrées, puissantes, riches, qui, pour paraphraser Paul Valéry, se découvraient soudain mortelles. Des civilisations qui, un jour, ont retourné contre elles, dans une lutte fratricide et suicidaire, leur technique, leur science, leur progrès, leur industrie, leurs savoir-faire, leur génie.

Alors que l’année prochaine, nous célèbrerons, madame la ministre, dans toute la France et dans le monde entier le centenaire de l’armistice, je vous propose non de célébrer, mais de regarder cent ans en arrière, en direction de ce mois de novembre 1917. Un mois durant lequel l’histoire a hésité, tremblé sur ses bases. Où l’amateur d’histoire, l’observateur avisé d’aujourd’hui, distingue cette « tectonique des plaques » qui accouche soudain d’un monde nouveau. Alors que passe-t-il en ce mois de novembre 1917 ?

- Le 2 et le 3, les troupes américaines se battent pour la première fois dans la région de Lunéville. Après l’entrée en guerre officielle des Etats-Unis en avril 1917, leur arrivée soulève un immense espoir.

- Mais le 7 novembre, c’est la catastrophe : les Bolcheviks s’emparent du pouvoir en Russie avant de négocier deux semaines plus tard, un cessez-le-feu avec l’Allemagne. Un cessez-le-feu synonyme d’intensification des combats sur le front « Ouest ».

- Toujours le 7 novembre, les Alliés, dont les relations quotidiennes, et c’est normal, n’ont pas toujours été au beau fixe, créent le conseil suprême de guerre dans lequel chaque pays dispose de représentants.

- Le 16 novembre, Georges Clémenceau accède à la présidence du Conseil et commande au destin d’un pays qui se relève avec peine du Chemin des Dames. Un pays saigné, découragé, divisé aussi face à une guerre qui s’éternise. Quelques mois plus tard, il nomme ce « fou de Foch » commandant en chef du front de l’Ouest, parce que, dit-il, « avec lui, nous mourrons les armes à la main ».
 Je sais à peu près ce qu’un bon élève doit savoir sur Foch ; mais moins sans doute moins que beaucoup d’entre vous et que les spécialistes. Une chose, ou plutôt une phrase de lui m’a marqué. Une phrase à laquelle je pense souvent. Cette phrase, c’est son fameux : « Je sais vouloir ». Il aurait pu dire : « Je suis quelqu’un de décidé » ou « je suis volontaire ». Mais il a dit « Je sais vouloir », qui introduit l’idée d’une volonté qui s’ajoute à la volonté. On peut être volontaire de nature et soudain, parce que les circonstances l’exigent, on peut décider de vouloir.

Eh bien, mesdames et messieurs, en ce 11 novembre, sachons vouloir.

- Sachons d’abord nous souvenir, certes durant les commémorations officielles comme aujourd’hui, mais aussi lorsque nous croisons ces petits monuments aussi répandus et familiers que les clochers de nos villages. Arrêtons-nous quelques secondes. Lisons les noms qui y figurent. Des noms parfois identiques parce que des frères, des cousins ont endeuillé plusieurs fois la même famille. Quand j’aperçois un de ces monuments, je songe à cette sombre prophétie de Roland Dorgelès qui, dans les ultimes pages des Croix de bois, s’écrie : « Mes morts, mes pauvres morts, c’est maintenant que vous allez souffrir, sans croix pour vous garder, sans cœur où vous blottir. Je crois vous voir rôder, avec des gestes qui tâtonnent, et chercher dans la nuit éternelle tous ces vivants ingrats qui déjà vous oublient ». Sachons, madame la ministre, chère Geneviève Darrieussecq, être des vivants à la mémoire longue. Des vivants qui honorent leurs combattants. Des vivants qui débordent de gratitude.

Une gratitude qui s’adresse certes à nos soldats, mais aussi – et je cite ici les mots prononcés par Georges Clémenceau lors de sa déclaration de politique générale- « aux silencieux soldats de l’usine », « aux vieux paysans courbés sur leurs terres » aux « femmes de l’arrière » et « aux enfants qui leur apportent leur aide d’une faiblesse grave ».

Une gratitude qui s’adresse aussi à ces centaines de milliers de soldats d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, qui ont représenté jusqu’à 15% des effectifs combattants français, et dont le courage, l’âpreté, la générosité au combat ont été maintes fois salués.

Une gratitude qui s’adresse enfin aux millions d’hommes venus d’Amérique, défendre une terre qui n’était pas la leur. Je pense à ces soldats canadiens qui se sont illustrés dès 1914 à Neuve-Chapelle, sous le gaz moutarde d’Ypres en 1915, durant la sanglante bataille de la Somme en 1916, lors de l’éclatante victoire de Vimy et sur la crête d’Amiens. Je pense aussi à ces millions de conscrits américains qui participeront à l’offensive de Meuse-Argonne et précipiteront la défaite de l’empire allemand. Je pense à la 3è division d’infanterie américaine dont la ténacité lui a valu le surnom de « Rock of the Marne ». Je pense aux courageux volontaires de l’escadrille Lafayette. Pour la deuxième fois de leur histoire, Français et Américains mourraient ensemble pour défendre la liberté.

- Sachons la défendre, cette liberté. Ces valeurs de tolérance, de respect de l’autre. Sachons les défendre côte à côte. Messieurs les ambassadeurs, ce 11 novembre est aussi le jour des soldats de nos armées respectives engagés le plus souvent au-dessus de la Syrie, de l’Irak et pour ce qui concerne la France, au sol au Sahel. Des aviateurs qui sont les héritiers des pionniers de l’escadrille Lafayette, qui en perpétuent l’esprit et le courage et auxquels nous dédions ce 11 novembre 2017. Permettez-moi d’y associer celles et ceux qui au grand jour ou dans l’ombre, dans nos villes ou sur les différents théâtres d’opération, risquent leur vie pour préserver la nôtre.

- Sachons enfin aimer et préserver la paix. Je n’apprendrai rien à personne en disant que Rethondes est certes le symbole d’une victoire, mais il est aussi celui de l’emprise du nazisme sur l’Europe. Une éventualité qui semblait impossible dans l’euphorie de l’après-guerre. L’euphorie de la paix retrouvée, de l’illégalité de la guerre, de la Société des Nations. Sachons apprendre aux jeunes générations le goût et le prix de ce bienfait, de ce si simple et si précieux bienfait, aussi naturel que l’air qu’on respire et pourtant bien plus fragile qu’on ne le pense. Une paix que ceux de 14, ceux de 44, ceux de 2017 ont payé et payent encore aujourd’hui, du prix le plus élevé qui soit.

Quand on vit à Compiègne, ou plus loin, là-bas en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, aimer la paix, c’est aimer l’Europe. Ses peuples, ses cultures, sa diversité bien sûr. C’est aimer s’y promener, y étudier, en découvrir les beautés et l’histoire. Mais c’est aussi aimer l’Europe politique, celle des libertés, de la citoyenneté commune. C’est l’aimer avec ses imperfections, ses insuffisances. Malgré sa complexité ou ses lenteurs. Oui, aimer la paix quand on est Européen, c’est aimer l’Europe. Une Europe qui nous rappelle à la fois les valeurs éternelles qui nous unissent et les désastres qui nous ont endeuillés.

Non, nous ne pourrons jamais imaginer ce que ces hommes ont vécu. Seuls quelques-uns d’entre nous, je pense en particulier à nos soldats, pourrons se hisser à leur hauteur. Sachons donc tout simplement être dignes de leur souvenir, de leur héritage. Sachons écouter et apprécier le silence de cette clairière, le silence du recueillement et du canon qui s’est tu.

Seul le prononcé fait foi.